on marche lentement
à son rythme
je suis légèrement derrière
je porte deux sacs elle un seul
tu veux que je prenne un sac ?
je lui tends sans dire un mot
on marche vers le tram
je vois bien qu'elle galère je me force à n'en avoir rien à foutre
qu'elle crève avec son sac cette connasse
je suis au bord de larmes j'en peux plus
je sens des pulsations à mon visage
j'ai la peau des joues sèche et tendu
j'ai le front et les tempes qui palpitent
spohie s'arrête à mi chemin du tram
elle fout quoi putain cette connasse elle voit pas que je suis pressé de pleurer merde elle veut quoi que je chiale en pleine rue connasse connasse connasse
à chaque connasse c'est comme une occasion de plus d'avoir envie de pleurer
je me déteste d'être en colère comme ça de la haïr comme ça et de pouvoir rien y faire ça me rend encore plus malheureux
elle pose le sac et rentre dans une boulangerie
elle ressort juste après
t'as pas dix centimes ?
je sors la monnaie de mes poches quelques pièces de un et deux centimes je lui fourre le tout dans sa main sans la toucher la regarder lui parler
elle me regarde très triste je suis très triste aussi mais tellement fermé ça se voit pas sauf les yeux mais je lui montre pas mes yeux elle retourne dans la boulangerie
trente secondes passent je lutte contre les larmes
elle ressort une baguette sous le bras elle me rend mes piecettes
y'avait pas assez elle dit d'une voix renfrognée
je prends les pièces je reprends le sac
putain comme j'ai envie de les lui balancer à la gueule
on entre dans le tram
je me poste avec les deux sacs devant la porte debout
elle se faufile jusqu'à un siège
je fais quoi je la rejoins non ça me fait chier mais j'ai envie je fais quoi
le temps de décider deux vieilles prennnent les deux places qui restent le tram démarre
sophie me regarde tristement
je lui lance un regard éteint fermé je détourne les yeux
elle va pleurer je crois si elle pleure je pleure aussi je veux pas pas dans le tram je veux pas de ça
elle se tourne je vois plus son visage c'est mieux
ça me rend terriblement malheureux en cet instant précis je me dis ça y'est c'est allé trop loin elle va me quitter elle va me quitter c'est foutu
j'ai plus que jamais envie de pleurer
le tram arrive à destination
elle sort
je sors par une autre porte
j'en peux plus
je la rattrape
je l'attrape par le manteau
sophie
ma voix est cassé par la tristesse
les larmes jaillissent d'un coup elle moi
on se pleure dans les bras les sacs de course autour en plein dans le passage on fait chier tout le monde mais on s'en fout
on finit de pleurer sur le banc de l'abritram
on sanglote j'ai la respiration saccadée heurtée difficile
je t'aime
moi aussi je t'aime
ses joues sont mouillées son regard dépourvue de toute colère juste abattu vraiment abattu très fatigué très triste ça me rend encore plus triste les larmes jaillissent d'un coup j'en peux plus j'ai envie de pleurer dormir dans ses bras j'en peux plus
allez il faut rentrer elle me dit
elle à raison
je souris mais pas les yeux
il faut rentrer j'aurais tout le temps de pleurer à la maison